1. Le contexte
Lorsqu’en Europe l’on entend parler de mines, nous avons tendance à penser que cela appartient au passé et que rien de tel n’existe de nos jours. Or nous avons bien tort ! Afin d’extraire les minéraux nécessaires à la fabrication de nombreux appareils électroniques tels que nos téléphones portables, nos consoles, etc…, les entreprises d’électronique exploitent les terrains sud-africains et sud-asiatiques ainsi que les populations locales. Pourquoi un tel fonctionnement reste méconnu pour nous ? Quelles sont les réalités qui se cachent derrière ces exploitations ? Qui est responsable ?
Le mardi 15 mars 2016, les classes de l’option complémentaire de géographie du gymnase d’Yverdon-les-Bains ont eut l’occasion d’assister à une conférence sur le sujet de l’exploitation minière dans les pays du Sud. Cette conférence fût organisée par les ONG « Pain pour le prochain » et « Action de Carême », ainsi que coordonnée par les enseignants de géographie du gymnase. Ce texte est un compte-rendu de cet événement.
Avant tout, il est nécessaire de remettre la conférence dans son contexte. L’intervenant invité pour cette conférence se nomme Eric Mokuoa et travaille pour la fondation « Bench Marks Foundation », partenaire de « Pain pour le prochain » et ayant pour but de dénoncer les agissements des entreprises minières en Afrique du Sud. Parlant au nom de son village d’origine, Eric Mokuoa a présenté les différents problèmes entrant en jeu lors de l’exploitation minière dans les pays du Sud par des multinationales étrangères et expliqué la responsabilité de chacun dans ces problèmes.
Eric Mokuoa, représentant de la Bench Marks Foundation
(Photo Pain pour le Prochain)
Alors que les mines sont présentées comme des catalyseurs pour le développement des pays du Sud, elles sont en réalité la cause du sous-développement des communautés. L’exploitation des populations locales provoque un sentiment d’injustice grandissant et la plupart des véritables enjeux sont gardés secrets. Pourquoi cette exploitation reste impunie ? Ne devrait-on pas en entendre parler ?
La population suisse n’a que peu d’informations sur la situation de l’Afrique, et pourtant, comme le prétend Eric Mokuoa, de grandes entreprises suisses, telles que Glencore, profitent et exploitent des terrains dans ce continent. La situation est critique et la population doit être informée ! Le premier pas dans cette direction est cette conférence organisée dans plusieurs lieux en Suisses afin de sensibiliser la population. Abordant un ton de discussion et de partage, Eric Mokuoa nous a éclairci la situation actuelle. Alors, finissons-en avec les secrets et dévoilons un peu les problèmes existants en résumant ses propos.
2. Un problème éthique
Tout d’abord, le plus gros problème qui se pose lorsque l’on parle de l’exploitation minière, c’est le problème de l’éthique. Les conditions de travail dans les mines sont insalubres et dangereuses. M. Mokuoa soulève la question suivante : les employés des mines devraient-ils risquer leur vie tous les jours pour que nous puissions profiter de nos envies de consommateurs ? Sans que nous le sachions, de nombreux objets que nous possédons à la maison, sont responsables de la mort et la souffrance de nombreux employés. L’exemple le plus évident est celui des compagnies électroniques qui fabriquent les portables qui nous sont si indispensables aujourd’hui. Sans nous le dire, ces entreprises nous fournissent des téléphones tachés du sang de nombreux employés tout au long de la chaîne de production. Alors, « quel sang dans notre téléphone ? » Voilà la question que s’est posée les ONG « Pain pour le prochain » et « Action de Carême » en examinant la performance des principaux fabricants en matière de droits du travail, de protection de l’environnement et de « minerais des conflits ». L’illustration ci-dessous montre la responsabilité de chaque entreprise, dévoilant le nom d’entreprises telles que : Asus et HTC, dont le comportement serait inacceptable. Mais la réelle responsabilité ne viendrait-elle pas aussi de nous, consommateurs, pour créer une demande aussi importante, qui bafoue les droits de l’homme ?
Pain pour le Prochain et Action de Carême, « Constructeurs du secteur « high-tech » : un classement éthique », tiré de http://www.hightech-rating.ch/fr/
3. Une action pour renforcer la responsabilité sociale des entreprises (RSE)
Les ONG ont aussi lancé cette année, en partenariat avec « Être partenaires », une initiative visant à rendre les entreprises responsables de leurs actions tant bien dans le pays que à l’étranger. Ainsi, les entreprises suisses doivent respecter les droits humains et l’environnement dans les pays en développement où elles agissent. Une belle promesse d’avenir ! L’objectif est atteint et les 140’000 signatures nécessaires pour la survie de l’initiative ont été récoltées, le reste nous appartient.
4. Des déplacements de population
Un autre problème qui est bien réel, est celui des déplacements de populations dans les villages se retrouvant sur la route des compagnies minières. Les entreprises ayant des laisser passer leur permettant de contourner les lois, n’offrent que peu de choix aux populations qu’elles veulent déplacer. Que ce soit en cachant la vérité aux communautés, ou en leur donnant que les informations qui leur seraient favorables, les géants des mines ne respectent pas le principe de « consentement libre, préalable et éclairé », qui consiste à donner suffisamment d’informations à la personne pour qu’elle puisse prendre une décision réfléchie et non-influencée. Ce principe, les populations exploitées ne l’ont pas et ne sont souvent pas au courant qu’elles pourraient refuser de partir ou de participer à l’exploitation minière.
5. Un problème global : la pollution
Un dernier problème que je souhaite aborder, est un problème beaucoup plus global, bien que tous ces problèmes soient de responsabilité globale. Le problème qui commence à inquiéter les gouvernements européens est, ironiquement celui qui n’a pas de frontière : la pollution. L’exploitation de ces mines produits une quantité non-négligeable de polluants, détruisant les eaux, la biodiversité, et contaminant l’air que l’on respire, entre-autre. Comme nous le dit Eric Mokuoa lors de sa conférence « l’air n’a pas de frontière, ce qui affecte l’Afrique, affecte aussi l’Europe » nous démontrant ainsi que le problème de l’extraction des métaux n’est pas seulement un problème des pays du Sud, mais un problème qui touche toute l’humanité.
6. Interview d’Eric Mokuoa
Nous faisant bénéficier de sa présence, Eric Mokuoa a accepté de nous donner une interview suite à son intervention, afin de parler plus personnellement de la situation en Afrique :
Caroline Bise : Pouvez-vous nous expliquer la situation en Afrique en quelques mots ? Quels évènements graves sont importants à savoir ?
Eric Mokuoa: Les liens et les collaborations que j’entretiens avec d’autres pays Africains m’autorisent à affirmer que les conditions actuelles semblent insoutenables ; les entreprises minières sont en train de piller l’Afrique comme jamais auparavant et elles ne se sont pas comportées de la bonne façon, plus particulièrement envers l’environnement. L’environnement est dévasté car la pollution est très élevée. L’extraction de minéraux, en termes de développement, a contribué au sous-développement de l’Afrique. Les habitants ont été déplacés de leurs maisons et villages, juste pour faire de la place aux compagnies minières. Et ceci n’aide au développement des communautés en aucune façon ou forme.
Les entreprises minières sont en train de piller l’Afrique comme jamais auparavant et elles ne se sont pas comportées de la bonne façon, plus particulièrement envers l’environnement. – Erik Mokuoa
C. B. : Et ceci impacte certainement les populations ; y a-t-il un sentiment d’injustice au sein des populations ?
E. M. : Oui car lorsqu’une communauté est déplacée par une compagnie minière, ils ne reçoivent aucun choix. Les populations Africaines ont été privées du « consentement libre, préalable et éclairé ». Cela signifie que les populations devraient être informées adéquatement, et suffisamment, avant de pouvoir être déplacées par les compagnies minières pour qu’elles puissent être capables de prendre leur décision. Mais elles devraient aussi avoir le choix de dire non, elles doivent avoir les deux possibilités à leur portée. Voilà le principe de « consentement libre, préalable et éclairé ». Mais en Afrique les populations n’ont pas d’autre choix que d’accepter les compagnies minières. Elles ne savent pas qu’elles pourraient dire non et on ne leur donne que la moitié des informations ; la seule partie expliquée aux populations est la partie du développement grâce aux compagnies minières.
C. B. : Il y a donc beaucoup de secrets ?
E. M. : Il y a beaucoup de secrets, les communautés ne sont pas mises au courant de l’impact que cela aura sur leur vie. Et souvent, après avoir été déplacées, elles se plaignent. Pourquoi se plaindraient-elles si elles avaient été déplacées avec un sentiment heureux ? Voilà le problème. Donc nous voudrions dire : laissez les populations avoir le choix en leur donnant des informations complètes.
C. B. : Cela m’amène à une autre question. Il y a quelques entreprises suisses intervenant en Afrique et la population suisse ne le sait pas forcément. Pensez-vous que si la population suisse était prévenue et informée, nous pourrions faire quelque chose contre cette situation ?
E. M. : Il y a beaucoup de choses que la population suisse pourrait faire. Ce que je crois, c’est que ces conditions en Afrique sont globales. On ne peut pas les confiner en Afrique du Sud, les impactes iront au-delà et affecteront la planète entière. La population suisse fait partie de la communauté planétaire et de l’humanité, elle a donc des obligations morales d’agir et condamner une telle avarice. La raison pour laquelle cette situation est si désespérée est que des personnes veulent en tirer de l’argent, ils se font de l’argent au dépend de l’humanité. Je pense personnellement que cela prendra un long moment au gouvernement suisse pour donner aux personnes affectée par les compagnies minières suisses une justice, mais vous avez un pouvoir sur cette décision. Chaque citoyen a une obligation morale de veiller à ce que chaque être humain vive une vie décente.
Je pense personnellement que cela prendra un long moment au gouvernement suisse pour donner aux personnes affectée par les compagnies minières suisses une justice, mais vous avez un pouvoir sur cette décision. Chaque citoyen a une obligation morale de veiller à ce que chaque être humain vive une vie décente. – Erik Mokuoa
C. B. : Pouvez-vous décrire certaines actions menées en Afrique ?
E. M. : Nous, La Bench Marks Foundation, avons fournis beaucoup de recherches pour montrer la façon dont les compagnies minières se sont comportées au cours des années et comment elles n’ont pas changé leur pratiques. Car les pratiques des compagnies minières sont devenues aussi terribles et insoutenables, les communautés ne peuvent plus se taire. En tant que fondation, nous sommes vus comme une autorité sur les problèmes de la responsabilité des compagnies. Aujourd’hui, certains gouvernements Africains viennent vers nous lorsqu’ils veulent comprendre les problèmes de l’extraction de minéraux.
C. B. : Car d’autres pays Africains ne sont pas au courant de ce qu’il se passe non-plus ?
E. M. : Oui, principalement, les populations non aucune idée de ce qu’il se passe car l’information qu’elles ont a disposition de la part des compagnies sont très techniques et pas accessibles à une personne ordinaire. La seule manière pour les populations d’être au courant de ce qu’il se passe est quand elles sont confrontées aux conditions de vie très dures.
C. B. : Et vous écrivez des rapports pour faire en sorte que les gouvernements Africains changent ?
E. M. : Nous avons fait des recherches au Botswana, au Congo et dans d’autres pays Africains pour voir le comportement des compagnies changer, pas nécessairement le gouvernement. Mais même si les gouvernements Africains ont de bonnes lois, le problème est que les compagnies ont le droit de faire ce qu’elles veulent et d’enfreindre ces lois. Alors oui, les gouvernements devraient aussi changer afin d’être capable de contrôler ces compagnies et les punir si nécessaire.
Alors oui, les gouvernements devraient aussi changer afin d’être capable de contrôler ces compagnies et les punir si nécessaire. – Eric Mokuoa
C. B. : Merci infiniment pour le temps que vous nous avez accordé et de vos réponses à nos questions.
Les longues heures de réflexions apportées par cette rencontre m’ont amenée à une prise de conscience réelle. Nous, citoyens du monde, sommes responsables du bonheur de chaque individu de cette planète. Il ne faut pas prendre peur et se dire que la tâche est trop grande pour être accomplie par notre simple personne, il suffit de changer notre comportement et nos habitudes afin de faire un changement dans cette situation. De petits gestes sont nécessaires : réfléchir longuement avant d’investir dans un nouvel appareil électronique, se tourner vers des entreprises fairtrade qui respectent le droit des hommes, et tout simplement, ne pas fermer les yeux sur les exactions qui sont commises et se mettre en marche vers un changement de lois pour réguler et contrôler les actions des entreprises.
7. Pour aller plus loin
- Le site de la Bench Marks Foundation;
- Le site de la campagne de Pain pour le prochain et Action de Carême;
- Le site de l’ONG Action de Carême;
- Le site de l’ONG Pain pour le prochain;
- Le site de Glencore;
- RTS, Xstrata et Glencore, le point sur les accusations de pollution, tiré de http://www.rts.ch/info/suisse/4026562-xstrata-et-glencore-le-point-sur-les-accusations-de-pollution.html, consulté le 27.05.16
- Glencore, Rapport de développement durable 2014, tiré de http://www.glencore.com/assets/sustainability/doc/sd_reports/2014-Sustainability-Report-Fr.pdf, consulté le 27.05.16
Caroline Bise, 3M12