Un réveil douloureux.
Laborieux.
Je plisse les yeux en tentant de distinguer le troupeau d’éléphants qui me piétine le crâne sans scrupule.
Rien.
Je ne perçois que le bourdonnement incessant d’un vaisseau spatial qui augmente de seconde en seconde.
Où va-t-il se poser ?
Comment peut-il y voir quelque chose dans cette obscurité totale ?
Est-ce seulement la réalité ?
Je me sens vaseuse.
Nauséeuse.
Quelqu’un agrippe mon cœur et le serre de toutes ses forces.
Je tente de le repousser. D’inspirer. D’expirer.
Mais mes efforts sont vains. La poigne tient bon. L’étau se resserre. Je suffoque !
Inspire. Expire.
J’entends au loin les pales d’un hélicoptère qui se pose, amenant avec lui la brise fraîche que ses hélices brassent.
Où suis-je ?
Un goût de sel sur mes lèvres apporte la réponse à ma question : je suis sur une plage, au bord de la mer !
Je referme mes mains sur le sable chaud.
Il n’a pas du tout la consistance de ces petits coquillages broyés en des milliers de petits morceaux ! L’étendue sur laquelle mes membres reposent est lisse.
L’odeur non plus n’est pas celle que l’écume laisse dans l’air.
Cela sent le désinfectant, le propre.
La mort.
Cette fois, j’ouvre pleinement les yeux pour me rendre compte de mon environnement.
Tout est blanc, un brouillard éblouissant m’enveloppe de toute part.
Suis-je morte ?
Je bats à plusieurs reprises des paupières. Enfin, les formes sortent du brouillard.
Après quelques secondes, mes yeux s’habituent à la luminosité ambiante.
Tout redevient net, comme lorsque l’on appuie sur le bouton d’un appareil photo pour faire la mise au point sur un objet.
Je balaie la pièce du regard. Mes yeux se posent sur la première silhouette que j’aperçois.
Elle est allongée, presque recroquevillée sur elle-même.
J’ai beau la fixer, elle m’est totalement inconnue.
Déformée.
Voilà ce qui me vient à l’esprit en voyant ce haut de corps distendu.
Que lui est-il arrivé ?
À qui appartient ce front, semblable à celui d’un alien ?
Ces mains de tailles différentes, dont l’une s’apparente à celle de Hulk, la couleur en moins ?
Est-ce seulement la réalité ?
« Démence » me crie une petite voix. « Tu es devenue folle ! »
Je fixe intensément cette forme quand la vérité s’impose : cette silhouette est enfermée dans un verre d’eau. Non : pas enfermée… Il s’agit d’un reflet… De mon reflet.
J’écarquille les yeux. Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas ressembler à cette chose difforme !
Si ce verre d’eau ne reflète pas ma réelle apparence physique, qui peut bien le faire mieux ?
L’étendue d’un lac nous renverra une image de nous-même ballotée par les flots.
Une vitre nous fera pousser des membres en plus.
Un tableau, bien que très fidèle restera immobile et ne changera plus une fois terminé.
Un miroir ?
On dit « se mirer », du latin « mirari ».
Se mirer dans un miroir.
Peut-on seulement s’admirer si toute beauté nous a quittés ?
Le reflet.
Un phénomène bien étrange.
Le reflet réfléchit-il notre véritable image ?
Ou déforme-t-il ce que nous sommes vraiment ?
Qu’est-ce que le reflet ?
Une représentation de nous-mêmes au travers d’un objet ?
On s’y fie énormément. Et s’il nous mentait ?
Ne sachant plus quoi penser, j’essaie de me lever, mais mes jambes ne me répondent pas.
« Tu es faible ! » me crie cette petite voix insupportable. « Vas-y ! Fais un effort ! »
Que se passe-t-il ?
Un râle s’échappe de ma bouche.
J’entends des pas précipités.
Bientôt une silhouette blanche entre dans la pièce et s’affaire autour de moi.
Une chaleur diffuse envahit mon corps.
Je m’envole au-dessus de mon lit.
Je souris.
Je n’ai plus besoin de jambes.